Elle étaient amies d’enfance. Les enviées du quartier pour leur complicité. Lola, la petite fûtée studieuse et Lisa, l’émotionnelle. Et maintenant, elles se retrouvaient. A la gare Marseille Saint Charles. En haut des escaliers en pierre. Quinze années d’histoires tues, des choses enfouies, aucun vécu partagé. Mais là, sous les yeux des passants indiscrets, les touristes qui avaient arrêté de fixer la vue sur la bonne mère et les wechs qui attendaient la fin de cette scène pour venir draguer, elles se sont prises dans les bras et elle ont pleuré.
Lola s’y jetait dans ce qui était pour elle un sketch pour démontrer qu’elle aussi aimait, savait tenir à quelqu’un et très bien s’émouvoir en retrouvant quelqu’un. Mais elle seule n’y croyait pas à ces démonstrations, qui pourtant étaient véridiques.
Lisa avait ces retrouvailles bruitées par une idée en tête qui la déconcentrait. Elle était venue prouver des choses et démontrer bien d’autres choses que de l’amitié. Oui, elle pensait avoir réussi et voulait le partager avec hâte avec son ancienne meilleure amie.
-Tu n’as pas changé.
-Toi non plus.
Mis à part leur trente années, elles avaient été sincères.
Elles esquivèrent les gens en cercles et descendirent les marches. Elles allaient passer une journée agréable ou une journée de malaise. Toutes deux appréhendaient.
-Alors tu es heureuse ? Demanda Lola avec cette pointe presque maternelle que Lisa savait mauvaise. Elle savait être maternelle pour juger, alors qu’elle désirait exactement ce qu’elle retenait aux autres.
Les questions importantes en tout cas commençaient déjà.
-Oui, je suis avec un homme merveilleux. Tu sais, je t’ai dit, commença Lisa.
-Oui mais tu es heureuse, interrompit Lola comme si elle ne voyait l’évident rapport pour Lisa.
-Oui, oui… Et… et toi ?
-Tu demandes si je suis heureuse ou si je suis avec un homme, dit Lola avec ironie.
-Ah, les deux !
-Alors je réponds oui.
-Aux 2 ?
-Oui, c’est ça.
Ca y est, voici le malaise qui s’installe doucement. Elles étaient tout juste arrivées au pied des escaliers.
-Tu sais, tu devrais arrêter… de… prendre tout le monde de haut. On n’est pas toutes aussi intelligentes que toi avec tes études, mais on peut très bien réussir autrement ! S’écria Lisa avant de se rendre compte qu’elle était partie très loin.
Lola sourit et dit simplement Ok très bien mais avec beaucoup de suspicion, comme si elle était sûre que Lisa avait gâché sa vie.
-L’homme que j’ai est fascinant, il est doux, il me gâte, il me montre tous les jours ce que je mérite , et me le donne. Rien que pour de l’amour, oui, on peut être heureuse, oui !
Lola leva les yeux au ciel et continua de sourire. Lisa la foudroyait du regard et semblait se retenir pour dire quelque chose en plus. Lola le comprit et lui lâcha :
-Vas y dis nous combien il est riche !
– Oui il est riche mais ce n’est pas…
-Ah bien sûr ce n’est pas pour ça que tu es avec lui !
Lisa avait toujours eu un faible pour les apparences et elle était toujours fidèle à elle-même, se dit Lola.
-Il est un grand chef d’entreprise ! S’empressa de rajouter Lisa. Très intelligent. Tu te serais bien entendue avec lui. Il est comme toi, comment dire… il a cette manie obsessive aussi que tu avais toute petite, de toujours mener une enquête sur toutes les sources d’un livre ou d’un film qui te plait.
Elle avait dit ça avec un ton suffisant, comme si c’était un argument indéniable pour clôturer le débat.
Et effectivement, il y eut un certain effet sur les expressions de Lola qui se détendirent.
– Je sais que tu allais dire que je devais me trouver avec une personne à la con. Quelqu’un d’inculte comme moi. Mais là, non et je m’en sors pas malgré nos 5 années ensemble. Il faut que tu m’aides. Il vaut tellement mieux que moi.
Lola ne comprenait pas pourquoi Lisa en faisait tout ce drame de leurs différences avec son compagnon, mais était quand même touchée par cette sincérité.
-Tiens c’est nous avec notre bébé.
Lisa montra sa photo de fond d’écran : un couple enlacés avec un bébé au milieu. L’air heureux. Aux Maldives en plus.
Elle se retourna pour voir la réaction de son amie mais celle ci s’écroula par terre. Sous les yeux effarés de Lisa, Lola se mettait à sangloter tout en riant fort. C’était une folle au milieu de la Canebière.
-Mais qu’est-ce que tu as ?
-C’est mon compagnon à moi aussi !