Il fait jour. Il fait nuit. Quelques fois beau, même durant des semaines, puis pluvieux d’un coup mais ça ne tenait pas des heures. C’était toujours au Sud qu’elle habitait. Lui avait déménagé depuis un an mais il était resté au sud aussi. Mais beaucoup plus haut sur la carte, et la météo au Périgord est plus rude qu’à Montpellier, mais pas le vent.

La tramontane avait soufflé un jour et cassé les stores de leur ancienne terrasse qu’elle n’avait pas fermé. Louise aurait aimé l’appeler. Qu’il descende de Brive avec sa boite à outils à roulettes ridicule. Assez imposante, comme une valise qui ne passerait que pour la soute. Il était bricoleur et les femmes célibataires ne l’étaient généralement pas. Mais elle ne pouvait pas l’appeler, ils n’étaient plus un couple, ils n’étaient plus. Elle appela un technicien qui lui factura Beaucoup plus que les deux cents euros. Car elle dût subir le manque de Lucien généré par cet image revenue de ses souvenirs d’homme concentré sur une réparation.

Elle n’avait pas vu cette image depuis exactement deux-cents vingt deux jours. Il était plus juste de dire deux-cents vingt deux nuits, car la nuit est plus dure. C’est durant la nuit qu’on pense et qu’on regrette. Les nuits pluvieuses étaient effrayantes, non par leur tempérament et leur tonnerre, mais car elles étaient propices aux idées les plus noires.

Louise avait trente-cinq ans et jouait au théâtre. Un bout poste passionnant, non par son salaire, mais elle était épanouie essentiellement le jour donc quand elle répétait, et sinon jusqu’à vingt heures quand elle avait une prestation. Lucien avait lui aussi trente-cinq ans et un métier plus stable et plus occupant. Un informaticien qui était sur éditeur de code tous les soirs quand sa nouvelle copine n’était pas là.

La copine à vrai dire n’était pas si nouvelle. Il s’était mis avec elle au lendemain de la rupture avec Louise. Relation pansement au début, devenue très sérieuse au bout d’exactement seize jours. Et là il était aussi exact de parler des jours comme des nuits. Les nuits étaient torrides et les journées pleines d’action. Elle était elle aussi originaire de Brive et y était installée, lui voulait y revenir, c’était parfait. Autant fuir l’ancienne relation toxique au plus vite. Dire je t’aime, la présentation aux amis, la présentation aux parents, demander une mutation et dire la phrase de confirmer qu’on passait à autre chose, tout ceci s’était déroulé en seize jours chrono.

Durant ces seize jours, Louise était encore dans un déni pour la rupture d’une relation de sept ans. Sept ans bouclés pour l’un le lendemain, en seize jours définitivement et pour l’autre toujours pas après deux-cent vingt-deux nuits.

Qu’est-ce qui rendait la rupture si facile pour l’un et pas pour l’autre. Dans une relation, il y avait toujours un jardinier et une fleur. Un qui souffre et l’autre qui s’ennuie. C’était pourtant Lucien le jardinier et lui le souffrant selon lui durant les sept années. Il avait tout donné. Tout mais pas d’enfants. Il avait toujours été clair. Les enfants étaient contre son métier, contre la vie, contre lui. Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Elle, elle voulait des enfants qui courent dans un jardin, une clôture, un village dans l’Hérault, un poste de télévision, un chien et des oiseaux en cage. Lui en cage. Et il ne voulait pas des enfants qui l’enferment. Il la voulait juste elle sans frais, sans feuille à signer, sans tout mettre noir sur blanc, sans enfants qui demandent, car tout était au fond de lui si elle demandait. L’amour certain, réel, infini. En tout cas il avait cru. Mais les enfants, c’était un sujet dont elle ne parlait pas tellement. Elle ne l’y avait initié, comme si elle lui avait caché à quel point ce souhait était fort et d’un coup elle s’était sentie piégée, frôlant les trente-cinq ans. C’était elle qui était en cage d’un couple sans ce qu’elle avait toujours imaginé de ce que construisait normalement un couple.

Elle avait mis pause sur ses l’avait quitté sèchement. Il en avait pleuré. Il en avait été déchiré en morceaux. Il avait été pris pour un idiot, jeté comme un objet qui ne sert plus, sans qu’elle ne lui en parle. Aucune alerte en amont. Aucune façon de le lui signaler. Aucune dispute. Eux, qui allaient bien comme toujours puis un arrêt sans scrupule. Un matin, levé, ne la trouvant plus, ne trouvant plus ses affaires, même pas une lettre, même pas une réponse à ses lettres. Aucun ménagement. Et ça avait duré vingt-quatre jours et nuits.

Puis, elle revint comme si de rien n’était et lui dit qu’elle n’avait pas réussi à l’oublier. Aussi simplement que ça. Elle dit que c’était difficile de ne pas avoir des enfants, mais que c’était difficile de ne pas l’avoir lui aussi. Qu’après cette expérience de rupture, elle savait qu’elle le voulait lui plus que tout, plus que les enfants. Elle dit ça mais elle lui proposa un marché désespéré et tordu. Elle lui dit qu’elle pouvait lui faire un bébé qu’il ne remarquerait même pas. Elle le mettrait à une pièce où il ne rentrerait jamais s’il le souhaitait. Elle serait mère célibataire mais en couple avec lui. Elle était revenue mais quelque chose n’allait plus dans ses mots. Elle criait qu’elle voulait un enfant avec lui mais sans lui si ça en était le prix. Elle lui proposait de faire cet enfant ensemble qu’elle pourrait élever seule. Il pouvait le renier, ne jamais lui donner son nom, ne jamais le voir, juste le croiser si c’est supportable.

Pour qui elle le prenait ?

Ils revinrent ensemble et la fit promettre de ne plus parler de ça. De ne plus aussi le quitter pour ça. Elle la fit dire que les enfants, elle pouvait les attendre. Elle le dit sans grande conviction mais elle le dit. Il vit que la conviction n’y était pas et que son envie d’enfants ne venait pas.

Il se servit de ce temps où ils étaient à nouveau ensemble, soixante douze jours et nuits, pour faire son deuil de son couple tout en étant en couple. Il n’avait pas le cran de la prévenir. Il se détachait de plus en plus pendant qu’elle durant ce temps, faisait un effort sur elle-même pour se convaincre que les enfants étaient accessoires et le couple primordial. Les femmes savaient lâcher leurs principes pour un homme et les hommes lâcher une femme pour leurs principes.

L’inattendu arriva, une suite de chances, il avait même rencontré quelqu’un durant cette période de deuil en couple, et il se décida que ce serait la relation suivante. Il décida ceci tout en étant en couple et sans tromper, il entretint cette idée dans son être et aussi dans ses actions, laissant comprendre qu’une porte s’ouvrirait bientôt et que son couple allait se terminer.

Dés qu’il se sentit prêt, Lucien quitta Louise et lui dit que c’était pour son bien. Pour qu’elle soit heureuse. Pour qu’elle fasse des enfants. Qu’en savait-il ? Pourquoi décider pour elle ? Louise à ce moment et il ne le savait pas, était décidée parfaitement à ne pas faire d’enfants, à avancer et ne plus rien demander. Pendant qu’ils étaient revenus ensemble, elle faisait un travail sur elle-même, prévoyait la concession, tout le sacrifice, alors que lui se construisait et se projetait déjà ailleurs.

C’était bien la différence entre le jour et la nuit.

Récit – La paresse du vide

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