Il est troublant de voir les gens mourir sans que la vie ne les quitte. Il suffit de les voir morts. Avoir un interrupteur magique et décider qu’ils ne sont plus. La rancune est un conflit fatal et la non existence des gens la résout définitivement.

Neila avait le même homme depuis trois ans, un ange, incroyablement sain, sans vices et malveillances. Maintenant il sera à jamais mauvais et malheureux. Il le sera un moment ou toujours, car le mauvais et le malheur vont ensemble.

Brisez le cœur à quelqu’un et il n’en a plus, c’était véridique. Elle l’avait fait, en tout cas il avait cru, et très vite il n’était plus. Elle lui fit du mal. Il se fit du mal. Ils se firent du mal. On leur avait fait surtout du mal. Sans laisser d’explications au temps, savoir à quel point elle avait souffert aussi, sans savoir des choses que de toute façon elle ne lui aurait jamais dites, il était devenu une vraie caricature de l’Homme salaud.

Lucien ne jouissait pas des qualités naturelles des hommes qui trompent, mais il avait trompé. La culpabilité tuait ceux qui ne savaient pas assumer et s’il savait assumer, au moins il lui en aurait parlé de la nouvelle après qu’ils aient rompu.

Il n’était pas le grand attirant qu’on repère vite au bar. Il était timide et simple, avec quelques difficultés à s’exprimer distinctement. Intelligent et même brillant, certes, mais avec des phrases insensées au petit volume et juste hors du temps. A la limite des complications sociales, il était. Neila trouvait quand même qu’il était la parfaite moitié pour elle. Elle trouvait ces défauts mignons et savait que d’autres aussi pouvaient le penser. La chance avait bien tourné pour lui – et Neila lui avait bien dit qu’il pouvait se faire un jour accoster par une fille – peu de temps après son cœur brisé et qu’il fut perdu.

Il était devenu assez visionnaire pour penser salaud déjà. Il s’était mesuré à quelque chose de menaçant et dangereux. Il se dit que de toute façon, ils allaient mal et ne reviendraient plus comme avant ou ne reviendraient plus. Il avait oublié que tous ceux qui trompaient vivaient forcément une relation avec des difficultés et que ce n’était pas original. Les difficultés de son couple ne le dispensaient particulièrement de rien.

Que savait-il de l’homme au bateau qui attendait depuis des années qu’il dégage ? Ou de celui qui tenait une agence marketing à l’avenue du prado ? Ou encore le jeune de vingt-cinq ans qui tenait l’hôtel à Valouse ? Même son propre cousin à Lucien l’avait draguée. Il lui avait demandé ce qu’elle faisait avec lui, qu’elle ne devait rien lui trouver et partir avec quelqu’un plutôt comme lui avec les mêmes ambitions.

Oui, elle lui avait brisé le cœur mais il ne savait pas pourquoi. Il ne savait qu’elle devait le quitter pour le protéger. Qu’à ce moment, elle avait mis off sur ses sentiments pour s’en sortir et que lui aussi s’en sorte. Il ne savait pas et ne saura jamais ce qu’il risquait à ce moment. Mais elle essayait de tout cœur de recoller. Elle l’aimait plus qu’avant et il ne savait pas que des sentiments aussi forts dans de telles circonstances et de plus refusés pouvaient devenir odieux et toxiques. Ou bien il le sut et il avait décidé de fuir.

Alors il sauta sur l’occasion. Sur cette fille fragile et légère qui espérait une relation. Célibataire depuis deux ans et au grand métier habitant l’étranger. Ils le firent le premier soir, comme au lendemain au matin après avoir pensé à envoyer un message à Neila pour rompre.

A la nouvelle, Il lui avait dit je t’aime ce matin-là juste après le message de rupture et il était sincère. L’illusion est inévitable quand on trouve une bouée et qu’on tienne à changer d’une vie devenue malheureuse depuis deux mois. On s’accroche à la bouée avec ses dents. On la présente aux parents. On l’invite aux mariages des cousins l’an prochain. On lui dit de revenir en France, de déménager à sa ville. De tout quitter pour lui car il était prêt. L’autre entend et adhère. Ils sont tous les deux francs. Mais ça ne fait que trois semaines qu’il sont ensemble dans une relation à distance et Lucien sort d’une relation de trois ans.

Lucien avait pété un câble et il fera du mal ou n’en fera pas. Une chose était sûre, salaud était son nouveau thème. Et quand on aimait quelqu’un pour sa beauté intérieure, on savait rompre avec ses sentiments en découvrant ce phénomène et c’est ce que fit Neila.

L’auto-défense est impressionnante. Pour Neila comme Lucien et tous deux avancèrent à leurs manières.

Pour Neila, Lucien était mort et aujourd’hui il y avait son fantôme, avec un nom qu’elle trouvait odieux, comme Gabriel. Gabriel rodait dans leur couloir, était toujours à l’appartement où ils habitaient ensemble et dont il était propriétaire. Il avait oublié que son ex avait un bon quotient intellectuel et des intuitions de femme pour tout savoir. Il rodait dans l’appartement, faisait son salaud et lui disait à tout bout de champ de se presser de trouver un autre lieu pour vivre.

Si lui était devenu salaud depuis trois semaines, elle, elle en avait côtoyé des années et savait les reconnaître. Son ex qui était mort n’était pas celui qui pouvait lui manquer de respect et se montrer invivable le temps qu’elle trouve un nouvel appart. Ce nouveau c’était quelqu’un d’inconnu et ne valait même pas la peine d’une vengeance.

A la place de suivre la même fantaisie que provoquait Lucien avec la nouvelle, Neila se laissa un peu de temps, vécut son deuil avec la découverte de la tromperie et rencontra quand même relativement vite quelqu’un. Ce fut un mois après leur rupture. Quelqu’un qui sortait d’une rupture aussi, beaucoup plus violente, un départ inattendu un matin et des affaires qui manquent. Il n’avait pourtant pas mal tourné. Il avouait ses faiblesses et traitait rationnellement cette fille qu’il avait perdue il y a six mois et ne se réfugiait pas chez les loups et les illusions.

Récit – L’homme des singes

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