Tous les trimestres environ, mon frère Adrien descend en voiture me voir à Marseille. Il prend sa voiture depuis Paris, remplie de cadeaux et d’affaires, avec son unique enfant entre les bagages et les sacs. Il arrive et raconte à chaque fois que le petit pleure la moitié de la route sur son siège auto quand il était bébé, comme aujourd’hui à cinq ans de mal de route. Mais nous, ça nous fait plaisir de nous voir.

Mon neveu est jeune mais il avait compris que son père était fatalement célibataire, aventureux et entêté. Il lui fallait des, des voyages et se changer les idées au Sud était traditionnel. Comme enchaîner les rencontres, les femmes ramenées par son père qu’il découvrait en moins d’une semaine de relation et les soirées au bar en bas de leur immeuble à Saint-Fargeau. Il montait le voir toutes les heures s’assurer que le même n’est pas mort et lui faisait les anecdotes d’en dessous, comme si ça pouvait rassurer de savoir que le gérant avait cassé une bouteille sur le comptoir ce soir car il était énervé contre son barman.

Adrien est mon jumeau et les jumeaux sont fusionnels ou ils avaient été séparés à la naissance. J’adore les trajets qu’on fait après sa venue. On part toujours en road trip et il me fait découvrir du pays et de la musique, avec toujours mon neveu derrière qui veut qu’on s’arrête à la prochaine station. Son style de chansons est comment dire, intellectuel et déchirant. Les wechs de Marseille n’écoutent jamais des choses comme ça quand on les croise avec le téléphone qui lance de la musique à fond en bas de ma rue. Mon frère dit qu’il faut fuir mon quartier, les caillols, qu’il ne supporte pas. C’est pour ça qu’il vient puis nous fait repartir à dos de sa Tesla silencieuse.

Je m’y sens protégée dans cette voiture, par la musique, la bonne humeur foudroyante de mon frère et tous ces paysages qu’on regarde par les vitres à chaque fois. On fait des roads trip de trois, quatre jours, comme s’il n’était pas fatigué de conduire déjà depuis Paris. Puis, il réserve l’hôtel, les restaurants, et je sais que je n’aurai jamais rien à payer. Il me fait littéralement sortir de mon monde vers autre chose d’inconnu, quotidien et régulier oui, car on le refera dans trois mois, mais c’est toujours surprenant.

Cette fois, il m’avait emmenée aux baronnies, à trois heures de Marseille. C’est la Drôme provençale et c’est l’entrée des Alpes.

  • Tu sais je vois quelqu’un.

Au début, je pensais qu’il parlait d’une femme. D’une vraie copine, mais en fait non.

  • Je vois un psy depuis quinze ans et je n’avance sur rien.

Je ne sus quoi dire. Adrien m’avait toujours paru tellement fort qu’il ne pouvait avoir besoin d’aide. C’est lui qui aidait les autres. Il n’avait pas besoin de praticien même pour se soigner d’un grand rhume alors que les hommes sont fragiles, et lui, il s’occupait seul d’un enfant.

  • J’ai toujours cette image en tête… Il y a notre charmante mère qui me réveille la nuit pour me dire que papa va la tuer et qu’il faut s’enfuir.

Maman avait alors des doutes. Pourquoi on ne s’est pas enfuis alors ?

  • Mais je lui avais demandé si elle faisait une blague, car évidemment que ça n’arriverait pas alors elle avait tout laissé tomber.

C’est vrai que tous les deux étaient fusionnels. Le père et lui, mais jamais je n’avais imaginé que notre mère s’était doutée de quelque chose si fort et que Adrien l’avait rassuré si présomptueusement. Oui, papa ne l’avait jamais battue mais il lui avait attrapé une fois le bras et avait appuyé si fort pendant les quinze minutes où il lui criait dessus qu’elle y eut un bleu et des enflements effrayants. Comme une malformation ou un brassard tout autour du bras juste au-dessus du coude.

Cette escapade avait un goût différent. Peut-être, c’était l’air des baronnies ou les virages que la Tesla serpentait à vive allure. Quelque chose en mon ventre criait et comme le gamin derrière, j’étais allée vomir mon enfance, sortir mes tripes entièrement, le ventre douloureux comme une machine qui crie.

  • Je suis désolée, je ne peux plus remonter, dis-je à mon retour.

La voiture me faisait peur, les sièges, le cuir et la musique à l’intérieur. C’était le pire lieu du monde. La jolies Tesla et le magnifique massif des baronnies. Les deux ici réunis étaient un gouffre qui ne devait pas m’avaler à nouveau, pourtant je rentre dans la voiture car Adrien me pousse à l’intérieur et rit de moi. Il rit de moi comme quand on était petits.

Le trajet devenait comme un élan de folie de plus en plus fort selon l’accélération et les virages. C’était le mal de route mais avec démence. Je disais, au début calmement, qu’il faut me laisser, puis je criais presque au secours. Mais il riait de moi. Je lui dis que j’allais ouvrir la portière tellement j’étais mal. Il pensait sans doute que je faisais une blague, comme ma mère. Car mes traits étaient figés et non endoloris, alors je décidai d’ouvrir la portière mais le vent l’en empêcha de s’ouvrir, mais Adrien enfin comprit et s’arrêta.

C’était la première fois que je le vis pleurer.

Récit – Aux baronnies

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