Roucas blanc partie 1

C’est juste le temps de lui dire qu’il n’avait pas été très présent le soir dans la semaine, et le voilà qui s’enflamme. Elle le regarde se défendre avec cette rage faussée. C’est fou quand même. Elle n’avait même pas le droit de râler, de lui dire rapidement qu’en fait ça ne lui plaisait pas toute cette absence. Elle n’était même pas allée jusque là. Il a suffi d’une réplique pour que voilà, il devient cet homme horriblement injuste. Oui, c’était injuste. C’est lui qui a tort. Mais c’est lui aussi qui est en train de crier, de s’agiter, d’extérioriser quelque chose, comme elle, elle aurait aimé le faire. Comme si lui, il avait quelque chose à extérioriser.

Il va même jusqu’à s’enfermer dans leur chambre. Car elle ne répondait pas, il lui avait expliqué. Elle a mal au dos, peut-être à cause du chantier ouvert à l’appart depuis plusieurs semaines. Elle n’avait vraiment pas l’envie de quitter le canapé mais elle se met debout. Elle regarde autour. Qu’est-ce qu’elle allait faire maintenant ? Il était minuit. Il fallait aller se coucher. Mais pas question d’aller ouvrir la porte de cette chambre. Elle avait envie de crier aussi.  Mais elle va au meuble à chaussures. Elle met ses baskets et elle va vite dehors avant qu’il ne comprenne qu’elle allait juste faire un tour.

C’est un beau quartier qu’elle habitait, surtout en cette période de l’année. Les décorations de Noel de la ville ne sont pas vandalisées comme dans toute Marseille. Il y a quand même le grand sapin de la place qui a perdu quelques boules et guirlandes sur le premier mètre et demi de sa hauteur. Elle avait très froid et il allait probablement finir par pleuvoir. De Plus, il se faisait tard. Elle se dit qu’elle va jusqu’à la corniche. Oui l’aller retour la fera marcher 10 minutes et ce sera assez pour ne pas se voiler la face.

Elle traverse la place et quelque chose la fait tourner à gauche. Sûrement l’envie d’allonger le chemin. Habiter à côté de la mer est une belle affaire sauf que là, ça ne paraissait pas idéal. Il lui fallait étirer le chemin. Le faire durer jusqu’à l’épuisement s’il le fallait. Elle est prise tout d’un coup d’une envie de pleurer. Elle ne veut pas se montrer dans la rue avec des larmes. On ne sait jamais qui on peut croiser. 

Je veux aller jusqu’à notre ancien appart. Elle l’appelait l’appart du bonheur à l’intérieur d’elle-même. Elle ne l’avait jamais dit à haute voix. C’est un nom très idyllique à un lieu où on a été simplement heureux, et ça sonne enfantin. Même ridicule. Son compagnon se moquerait. Mais elle ne pouvait pas y aller. Si jamais elle se trouverait là bas, ça voudrait dire que quelque chose est à récupérer. C’est à dire que quelque chose est perdu. Non, il ne faut pas aller. L’idée d’y aller lui donnait un profond malaise. Une peur même. Pourtant, elle s’était déjà surprise à y penser, à cette idée. Ce n’était qu’à 15 minutes à pied. Mais dans un sens où ils n’allaient jamais plus. Ce n’était ni vers le vieux port ni la corniche. C’était vers la bonne mère. Mais oui ! Elle pouvait aller voir la basilique.

Les choses du quotidien qu’on aime disparaissent si on change une toute petite chose de ce quotidien. Il suffit d’habiter 800 mètres plus loin pour que des choses qu’on aimait voir se cachent de nos yeux. On ne va pas les chercher et l’histoire est peut-être fini. Notre Dame de la Garde, elle habitait à son pied. Elle habitait dans une maison que la falaise de roche blanche éventrait et traversait jusqu’à la façade. On dirait un tas de roche qui fond. Une maison du début du vingtième siècle découpée en appart, charmante, provençale, mais qui s’effondre. On tournant vers l’impasse, juste avant d’arriver, on voit la bonne mère tout d’un coup. Comme tout juste venant d’être posée au-dessus de la maison. Ca surprenait agréablement les gens venant les visiter. Et ils recevaient beaucoup de gens.

Maintenant, elle montait la rue d’endoume. Une rue qui traverse 3 arrondissements par sa grandeur dont le  septième où elle était. Cette montée avait quelque chose de blessant. Car en plus de réchauffer avec l’effort. Il y a un sentiment d’aventure, comme si elle osait une expédition. Et tout le monde sait qu’elle n’était pas du genre à en faire. Mais ça, c’était son expédition pour ce soir. Elle avait déjà oublié son envie de pleurer. Elle sait qu’il ira moins bien après mais ce sera plus tard. Maintenant elle se faisait un petit plaisir, aux environs de minuit.

Ensuite, elle prit l’escalier. Celui qui mène au chemin du roucas blanc. Un escalier large qui n’en finit pas. Des gens sont dans leur salon, les rideux grands ouverts. Elle entend une télé, un homme qui rit fort. La montée n’est pas désagréable. Il n’avait plus de doute qu’elle allait monter jusqu’en haut. Elle arrive au petit château rouge mystérieux. La bonne mère à gauche  avec ces lumières folles qu’elle avait presque oubliées. C’était frappant que ce soit aussi fort éclairé. On la voit mieux que le jour.

Elle prit à gauche. Elle était engagée. Une montée de marches infinies. Elle courait. Les escaliers sont plus maintenant un sentier de randonnée que de escaliers en ville. Elle arrive en haut en dix minutes. Il y a toujours le petit muret qu’ils avaient sauté une fois pour passer seuls une nuit à l’intérieur dans un lieu censé être fermé pour tout le monde. Tout le monde à part eux. Elle ne se rendait pas compte cette nuit, et c’était très beau. Très vite, quelque chose se passe, elle avait envie de repartir. Elle sentait comme un interdit. Un interdit qui en appelle un autre.

Pour rentrer, elle va prendre un autre chemin, elle veut contourner. Histoire de faire une boucle, comme une sortie à vélo de course. Une boucle, il faut, sinon ce n’est pas un vrai tour. Elle vit de loin une épicerie fine qu’elle aimait bien. Une épicerie corse. C’était fermé. Mais plus en travaux. Elle avait eu peur pour ce commerçant quand il avait dû fermer à cause de la dégradation de l’immeuble. Le septième, même s’il aisé, reste marseillais. L’immeuble avait été complétement vidé de ses habitants et commerçants. Mais maintenant, ça avait l’air d’aller. 

Elle vit un bus descendre avec elle. C’était le bus qu’ils prenaient pour faire leurs courses. La voiture ne devait pas bouger de son emplacement si précieux et si difficile à trouver. Elle aimerait courir derrière ce bus si elle le prenait ce soir. C’est fou qu’il circulait à cette heure. Elle regarda l’arrêt, l’auvent, et même les voitures garées à l’emplacement d’arrêt de bus qu’il fallait contourner pouvaient être sympathiques aujourd’hui. C’était un pincement de nostalgie.

Elle tourna à droite avant l’arrêt puis continua tout droit. Et revint à droite comme si elle remontait à la basilique mais c’était une impasse et au bout une maison, avec au-dessus la bonne mère très visible. Comme si elle était en continuité. L’appart du bonheur à l’intérieur.

Roucas Blanc | Récit Nouvelle Fiction Romantique

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